Vivre dans l’immensité
Fabriquer une partie de sa nourriture, de ses vêtements, de son habitat ; se déplacer et voyager à la force de son corps.
La prise de conscience de l’immensité et de la diversité du monde, de la richesse de la nature et du sens qu’elle donne à notre existence, peut se faire en gardant ou en reprenant contact avec la nuit, l’air et l’eau ; elle consiste aussi à questionner l’usage des machines que nous employons. Les déplacements et les voyages à pied, à vélo, à ski, en bateau, en canot, ou même à bord d’un véhicule à traction animale, contribuent à l’un et à l’autre.
L’industrialisation extrême de la vie quotidienne mène à des situations absurdes. Beaucoup d’Occidentaux utilisent leur voiture pour aller faire des achats à moins d’un kilomètre et consacrent ensuite du temps à marcher sans objectif ou à courir sur un tapis roulant. En questionnant l’usage d’un moteur pour faire ce que la force physique peut faire avec pratiquement autant d’efficacité, je fais d’une pierre six coups :
- Je me déplace. En effet, le problème est bien d’aller d’un point à un autre.
- Je gagne du temps. En effet, en zone urbaine, la marche à pied est souvent plus avantageuse en temps sur de petites distances, le vélo sur des distances moyennes, et les transports en commun sur de plus grandes distances. Mais surtout, je gagne du temps parce que je fais l’économie du temps passé à faire du jogging, du vélo d’appartement (!) ou du muscleworker.
- Je fais effectivement du sport une heure par jour. En effet, le jogging et autres sports d’entretien restent le plus souvent à l’état d’intention. “Il y a toujours quelque chose de plus urgent à faire”, se dit-on.
- Je profite du temps qu’il fait.
- Je fais l’économie substantielle du moteur en question, de son entretien, du carburant qu’il consomme, des tracasseries associées (où le laisser la nuit ?), des soucis légaux (assurances) et des dangers réels qu’il représente (mortalité automobile annuelle : un pour 5000).
- Je limite la pollution en carburant, en ordures industrielles, en carcasses, en construction d’infrastructures ; je contribue à la prise de conscience générale de ce qu’un monde existe en dehors des zones industrialisées et qu’une vie est possible sans automobile.
Les arguments qu’on oppose à ceux-ci sont toujours les mêmes et ils sont erronés. Ils sont par exemple qu’on a besoin d’une voiture pour transporter sa famille (or, on peut en louer une à l’occasion, ou appeler un taxi — il ne s’agit pas de bannir la modernité mais seulement de questionner nos habitudes) ; pour transporter les courses (on peut utiliser un chariot, se faire livrer. . .) ; partir en week end (oui ? où ça ? vers une autre zone de routes et de parkings où d’autres gens utilisent leur voiture ?), etc.
Si je prends l’habitude de marcher ou de faire du vélo sur une base quotidienne, je deviens capable d’accomplir sans efforts majeurs de belles distances, que je peux coordonner avec les transports en commun. Les possibilités de voyage sont multiples, économiques, proches et respectueuses de la nature. Elles font autrement plus le plaisir des enfants que de longues heures attaché sur un siège.
L’alimentation est un autre domaine où l’industrialisation extrême mène à des situations ubuesques. L’intensification de l’agriculture a permis de garantir, pour une majorité d’Occidentaux, des repas et des réserves alimentaires, mais :
- comme le montre l’exemple du Japon, avec une agriculture familiale pratiquement primitive et pourtant autosuffisante, elle n’était pas la seule voie possible ;
- elle mène à un certain nombre de situations catastrophiques : désertification des campagnes, où une seule personne peut gérer des hectares de culture et des milliers de têtes d’élevage ; surproduction et destruction volontaires des produits pour maintenir les prix ( !) ; appauvrissement des sols, pollution des eaux, dégagements de méthane, destruction des retenues d’eau et inondations conséquentes, etc. ;
- elle limite notre vie alimentaire et la rend dangereuse, en la restreignant à un petit nombre de produits facilement transportables et conservables, chimiquement et génétiquement modifiés ;
- finalement, elle ne permet même pas à tout le monde de manger, puisque certains n’ont pas les moyens économiques d’accéder à cette corne d’abondance ! ! !
Des problèmes similaires se posent avec l’habillement et l’habitat et les produits de masse qui les composent. Fabriquer une partie de sa nourriture, de ses vêtements et de son habitat permet de trouver une troisième voie entre une nostalgie irrationnelle pour une vie “primitive” idéalisée et l’acceptation passive des excès parfois criminels de l’industrialisation. Le travail occasionnel des champs, du tissage, de la poterie, de la menuiserie ou d’autres activités manuelles, permet :
- de reproduire, de maintenir, d’enrichir le patrimoine des techniques non-industrielles, de découvrir les merveilles qu’elles accomplissent, de prendre conscience de leur diversité (savez- vous combien de sortes de légumes étaient cultivés en France au 17ème siècle ? combien de formes de batik sont encore pratiquées au Japon ?) ;
- de se rendre compte de la difficulté de la vie “primitive”, du temps et des efforts nécessaires pour produire les objets et les aliments de la vie quotidienne ;
- de se rendre compte à quel point il est devenu difficile de faire le choix d’un mode de vie qui ne soit pas à 100% industrialisé, et d’oeuvrer pour que ce choix soit possible.
Parmi ces cinq points (se déplacer chaque jour à la force de son corps ; voyager occasionnellement à la force de son corps ; produire une partie de sa nourriture, ou de ses vêtements, ou de son habitat), y en a-t-il que vous pratiquez ? Pour chacun d’entre eux, citez une chose que vous pourriez faire et qui irait dans le sens proposé. Choisissez-en une, et faites-la.
© Copyright 2009 Luc Élias-Kawada et Jean-François Romang. Ces textes sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons - Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France. La reproduction et la diffusion sont autorisées, sans modification et à des fins non commerciales.