Transmettre ses choix de vie
Je vais pratiquer et favoriser une éducation qui donne les moyens de vivre dans n’importe quel monde.
On ne cherche pas la vérité, — il n’y a pas de vérité ; on ne cherche pas la libération, — il n’y a pas de libération. On ne cherche pas à gagner ou à rejeter quoi que ce soit. On ne cherche pas à faire le bien, — il n’y a pas de bien. On ne cherche pas à faire ni à défaire. Ce qu’on cherche, c’est à sortir si on est dedans, c’est à entrer si on est dehors, c’est à se diriger si on est égaré.Ryûku Ji-An, Bôzu ka Le Ryūkō-ji est un temple bouddhiste du Nichiren Shū situé dans la ville de Fujisawa, préfecture de Kanagawa au Japon. Il est fondé en 1337 par Nippō, un disciple de Nichiren. Il se trouve sur le site de l'ancien lieu d'exécution Tatsukuchi et son nom utilise les deux mêmes kanji signifiant « gueule de dragon ».
Une forme de don consiste à transmettre les moyens d’acquérir ce que j’ai acquis : confiance, éducation, biens matériels. Il s’agit de faire non seulement don de biens, don de connaissances factuelles, de transmettre des talents, mais aussi de donner les moyens de s’auto-éduquer, de se sortir de toutes les situations.
Donner les moyens de vivre dans le monde de son choix
Dans la philosophie occidentale naïve (cette philosophie tacite qui se transmet de tuteurs à enfants) les notions de “conscience universelle” et de “continuité humaine” sont inconnues. La postérité s’acquiert soit par la guerre (culte du héros) ; soit par les objets et les oeuvres (culte de l’artiste) ; soit par la descendance (culte des ancêtres et de la lignée) ; soit par l’argent (culte de la fortune) ; et parallèlement à travers la vie après la mort. Pour différentes raisons — dont certaines heureuses — la confiance en ces possibilités de postérité et d’éternité de la personne s’est érodée. Mais elles n’ont été remplacées que par une forme de cynisme : le “moi” est la forme la plus idéale de réalisation ; et étant donné que ce “moi” ne survit pas à la mort physique, la mort physique constitue un achèvement. Après “moi”, le déluge. L’individualisme, par définition, amène chaque personne, une par une, à se considérer indépendante du reste du monde et à ignorer les besoins du reste de l’humanité. Et ce, qu’il s’agisse des autres membres de la même société, des représentants des sociétés primitives ou non industrielles, ou de celles et ceux qui vivront demain sur la même planète. Aucune génération ne peut être sacrifiée pour les suivantes, certes ; et il est illusoire et dangereux de tenter d’écraser les aspirations individuelles au profit d’hypothétiques lendemains qui chantent. Mais l’Occident industriel choisit une voie tout aussi radicale qui est celle du sacrifice (écologique, notamment) des générations futures.
J’ai entendu qu’en l’an 2050, les neuf dixièmes de la population mondiale vivront dans les villes. Est-ce vrai ? À quoi ressemblera le reste de la planète ? Comment seront produits la nourriture, les vêtements, l’habitat ? Comment l’éducation sera-t-elle possible ? Il ne fait guère de doute que pour l’immense majorité, cette vie urbaine sera une vie de misère et une vie de révolte, et pour les autres une vie de danger et de stress. Donner les moyens de vivre dans le monde de son choix est d’abord transmettre un monde où il y a des choix. Non seulement des choix de consommation mais des choix comme celui de consommer ou de ne pas consommer, de vivre avec ou sans automobile, de vivre avec ou sans industrialisation, de vivre avec ou sans ville
Donner les moyens de faire des choix individuels
Beaucoup d’entre nous ne sont pas capables d’échapper à la tyrannie des modes, des dépendances, des impositions de l’industrie qui se transmettent à travers la publicité, la télévision, le milieu professionnel. Il s’agit pourtant bien d’une question de bien-être individuel et de souffrance. Combien d’enfants souffrent — parfois jusqu’à l’envie d’en mourir — de ne pas correspondre aux standards physiques aberrants que véhiculent la mode ? Combien d’enfants souffrent non pas parce qu’ils ont peu d’argent, mais parce que ce peu d’argent ne permet pas à leurs parents de leur acheter la dernière console vidéo sortie sur le marché ? Combien de couples sont empêtrés dans la tyrannie des marques, dans l’image fournie par le nom et la qualité de la montre, du costume, de l’automobile, etc. ? Est-ce que c’est ça que nous voulons transmettre à nos enfants ?
Je me sens presque ridicule d’avoir à soutenir un point de vue aussi évident que celui-ci. Comme l’exprimait une mère californienne, qu’est-ce qui est important pour eux ? Est-ce que c’est qu’ils puissent dire, comme les autres enfants, qu’ils auront mangé dix mille nuggets au poulet à leur majorité ?
Donner les moyens de changer de vie, si désiré, ou si nécessaire
Enfin, transmettre ces choix de vie, c’est donner les moyens psychologiques de considérer son mode de vie, son lieu d’existence, son travail, ses habitudes, comme transitoires et impermanentes, soumises aux hasards de l’économie et de l’histoire. C’est permettre d’être prêt, d’être capable, d’être rapide à changer quoi que ce soit dans son fonctionnement pour faire face aux circonstances : aléas personnels, chômage, troubles civils, guerre.
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