Pourquoi cette machine ?
Je vais réfléchir à la nécessité que j’ai d’utiliser moteurs, machines, médications.
Stairways of steel and cement, of brass and stone, with costliest balustrades, ascend through the decades and double-decades of stories ; but no foot treads them. By waterpower, by steam, by electricity, men go up and down ; the heights are too dizzy, the distances too great, for the use of the limbs. My friend [. . .] has never trodden his stairway. I am walking for curiosity alone ; with a serious purpose I should not walk : the spaces are too broad, the time is too precious, for such slow exertion, — men travel from district to district, from house to office, by steam. Heights are too great for the voice to traverse ; orders are given and obeyed by machinery. By electricity far-away doors are opened ; with one touch a hundred rooms are lighted or heated. [. . .] And all this enormity is hard, grim, dumb ; it is the enormity of mathematical power applied to utilitarian ends of solidity and durability. These leagues of palaces, of warehouses, of business structures, of buildings describable and indescribable, are not beautiful, but sinister. One feels depressed by the mere sensation of the enormous life which created them, life without sympathy ; of their prodigious manifestation of power, power without pity.Lafcadio Hearn (Koizumi Yakumo) Lafcadio Hearn (Leucade, République des Îles Ioniennes, 27 juin 1850 - Tokyo, Empire du Japon, 26 septembre 1904) est un écrivain irlandais qui prit ensuite la nationalité japonaise sous le nom de Yakumo Koizumi
Avant que ne se dressent les cerbères de la modernité, je pense utile de préciser deux choses :
- D’abord, le propos n’est pas de “revenir” à un état “naturel”, “primitif” ou “idéal” de l’existence humaine. Il n’existe pas d’état “naturel” auquel revenir, parce que les humains sont, dès leur origine, des “êtres technologiques” dont l’évolution physique et comportementale est corrélée aux outils qu’ils fabriquent. Il n’existe pas non plus de monde “idéal” ou “primitif” auquel revenir. D’une part, il n’est pas matériellement possible d’ignorer la société moderne et son envahissement et tenter d’établir une société close. D’autre part, le paradis sur terre n’a pas existé et nous ne l’avons pas perdu par “déchéance” ou “décadence”. Certaines choses sont meilleures qu’hier, d’autres moins bonnes, et les causes présentes de notre souffrance existaient dans le passé.
- Ensuite et surtout, l’Almanach est une démarche individuelle. C’est un recueil de suggestions destinées à guider la vie de la personne à travers des circonstances qui sont celles de la condition humaine, hors les époques et les sociétés. Ces suggestions sont inspirées pour grande part de l’enseignement attribué à Gautama Bouddha, qui a vécu vers 500 avant notre ère. L’objectif en est d’aider les personnes à se dégager de la souffrance et à aller vers l’éveil, une par une, par un effort personnel. Il ne s’agit pas — ce serait contraire à la démarche même — d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit.
On tend à mesurer le progrès en termes de technique et d’industrialisation et à négliger leurs effets sur notre bien-être ou notre malheur. Par ailleurs, nous avons tendance à croire que la technologie nous “libère” — terme forgé par les publicistes, cf. “Moulinex libère la femme” —, sans nous demander de quoi elle nous libère.
- Par exemple, nous pouvons nous demander de quoi nous libère l’automobile et ce à quoi elle nous assujetti. Ce qui nous y attache est ce qui nous attache au “moi” : le sentiment que nous sommes des entités distinctes du reste du monde et que notre état idéal est d’obtenir le détachement complet. Mais ce sentiment est illusoire. Nous ne sommes pas des entités distinctes du reste du monde ; tout ce que nous faisons pour nous en convaincre nous enchaîne d’autant mieux à notre propre souffrance. Ainsi, l’automobile permet une certaine liberté de mouvement, mais cette liberté se paye par une servitude individuelle et sociale.
Toutes les structures urbaines, toutes les habitudes de vie, et une grande partie des dangers, sont dus à son omniprésence. Enfin, l’automobile rejoint la panoplie des objets qui nous donnent l’illusion d’être différents, spéciaux, distincts, objets auxquels nous nous attachons et pour lesquels nous souffrons. - Nous pouvons nous poser la même question pour la télévision ou les connections informatiques. Ce qui nous y attache est la même volonté de nous conforter dans notre séparation d’avec le reste du monde, et de faire des rapports avec les autres personnes des rapports dépersonnalisés, fictifs, dans lesquels nous maîtrisons tous les éléments. Mais cette conception de notre relation à la continuité humaine est erronée, en ce sens que quelle que soit notre volonté superficielle de nous en séparer, nous y sommes profondément liés par les vies qui nous ont précédés et qui se déversent dans les nôtres, par la naissance, par la mort et par les autres traumatismes de l’existence.
Ainsi, il ne s’agit pas de rejeter le mode de vie moderne ni de refuser en masse tous les outils sur lesquels il s’appuie — ce qui, de toute façon, serait impossible pour les raisons évoquées plus haut. Il s’agit simplement, chaque fois que nous utilisons un produit de la technologie, de nous demander ce qu’il nous apporte et ce à quoi il nous soumet, et ce qui se passerait si nous nous en passions.
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