Industrie et nature
L’industrialisation est un moyen mais pas une fin — permettre le choix de son mode de vie.
He simply leaves the place he dislikes, and goes to the place he wishes, without any trouble. There is nothing to prevent him. [. . .] If he desire to travel a thousand miles, he can get ready for his journey in five minutes. His whole outfit need not cost seventy-five cents ; and all his baggage can be put into a handkerchief. On ten dollars he can travel for a year without work, or he can travel simply on his ability to work, or he can travel as a pilgrim. You may reply that any savage can do the same thing. Yes, but any civilized man cannot.Lafcadio Hearn (Koizumi Yakumo) Lafcadio Hearn (Leucade, République des Îles Ioniennes, 27 juin 1850 - Tokyo, Empire du Japon, 26 septembre 1904) est un écrivain irlandais qui prit ensuite la nationalité japonaise sous le nom de Yakumo Koizumi
Les personnes et les sociétés ont toujours fait un choix parmi deux possibilités de relation à la nature :
- marginaliser le monde naturel par rapport à la condition humaine, et s’en passer autant que possible ;
- vivre en fonction de ce que le monde naturel apporte et le perturber le moins possible.
L’alternative débute avec l’humanité, ses premières technologies, sa conquête de l’univers. Le choix s’est toujours fait entre le désir d’expansion et de perfectionnement et la volonté de compenser l’impact des humains sur le monde naturel. Mais les groupes qui ont fait ce deuxième choix disparaissent aujourd’hui. En effet, les sociétés technologiques et industrielles, celles qui décident pleinement de soumettre la nature plutôt que de vivre en interaction avec elle, par leur envahissement, ont rendu ce choix impossible pour l’ensemble des sociétés humaines. Pour différentes raisons (densité de population, envahissement des effets de l’industrialisation) une société close, vivant en autarcie, ne peut plus être envisagée.
Pour beaucoup d’entre les représentants des sociétés industrielles, le choix qui est fait est celui du confort et de la modernité. Cependant, ce choix dominant prend aussi une tournure dramatique : destruction physique de populations, surpopulation et famines, perte de la diversité du monde, catastrophes industrielles, et, dans le monde occidental, perte du sens de la condition humaine, sentiment de vide et d’inutilité, recherche erronée de soi à travers des stratégies individuelles ou politiques extrêmes.
Un troisième choix prend corps : c’est celui qui est défendu par l’écologie politique. Il ne s’agit pas de démanteler l’industrie, de rejeter les techniques et de revenir à un mode de vie “primitif” idéalisé. Il s’agit, justement, de laisser le choix :
- de permettre aux membres des sociétés primitives de survivre à leur contact avec les sociétés
industrielles ; - de laisser les sociétés moins industrialisées prendre leurs décisions pas à pas en protégeant ce qu’elles jugent bon de protéger (espaces naturels, modes de vie) ;
- de laisser aux personnes la possibilité de vivre une vie urbaine, semi-urbaine ou non urbaine.
Pour les Occidentaux, il s’agit d’une question de liberté, d’ouverture d’esprit, de diversité, de bien-être.
Pour beaucoup de non-occidentaux, ces possibilités sont vitales. Leur destruction par l’extension des sociétés industrielles constitue une sorte de crime. Parce que nous vivons dans des villes, parce que nous sommes éclairés, chauffés, refroidis, transportés, parce que notre habitat nous préexiste ou est construit par d’autres personnes, parce que ce que nous mangeons est produit par des inconnus et par des moyens inconnus, nous perdons conscience de l’immensité et la variété du monde. Ce mode de vie aussi est un choix. Les sociétés technologiques et industrielles ne sont pas des entités massives qui adoptent un comportement univoque. Leur comportement dépend du comportement individuel de chacun des membres qui les composent. C’est ce comportement que chacun d’entre nous, individuellement, peut décider de modifier en reprenant conscience de l’immensité et de la diversité du monde, de la richesse de la nature et du sens qu’elle donne à notre existence.
Cette prise de conscience passe par le contact direct plus que par l’explication ou les convictions. Elle consiste d’abord à questionner l’usage des machines que nous employons, à garder contact avec la nuit, l’air et l’eau, à se déplacer et à voyager, occasionnellement en tout cas, à la force de son corps, à produire une partie de son habitat, de son habillement et de sa nourriture, à faire des choix de vie et de travail originaux à effectuer une retraite annuelle dans un lieu naturel et isolé. Mais elle consiste aussi en une personnalisation de la vie quotidienne (c’est-à-dire une prise de conscience du fait que tout ce que nous faisons consiste en une interaction avec des personnes, qui pensent, rêvent, ressentent et souffrent comme nous-mêmes, et non avec des entités abstraites ou des machines), à prendre le parti des personnes et des groupes les plus faibles face aux institutions abstraites, aux intérêts industriels, aux groupes les plus forts ; à défendre un environnement varié ; à donner les moyens de vivre dans le monde de son choix, de faire des choix individuels, de changer de vie si désiré, ou si nécessaire.
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