Égalité des personnes
Égalité des sexes et compensation des différences physiologiques.
La première échelle de mesure du degré de civilisation est le degré d’égalité entre hommes et femmes. Il ne s’agit pas seulement de l’égalité dans la vie sociale et publique. Il s’agit aussi de considérer la grossesse, l’enfantement, la surveillance et l’éducation des enfants comme la tâche du couple ou du groupe, et de la manière dont les structures de la société intègrent cette vision des choses.
Il n’y a pas plus de raisons de respecter le fait que la nature a mis les hommes à la chasse et les femmes aux fourneaux que de respecter le fait que la nature a mis l’être humain dans la chaîne alimentaire, disons, du lion.
Il existe une asymétrie sexuelle. Hommes et femmes sont différents ; ils ont des physiologies différentes, et sans doute des comportements différents induits par ces physiologies différentes. Dit de façon abrupte, les hommes plus que les femmes sont actifs et agressifs, les femmes plus que les hommes sont passives et maternelles. Ces différences sont souvent évoquées pour affirmer que la société devrait traiter différemment hommes et femmes, et ne pas tenter de compenser leurs différences. Les tenants de ce point de vue soutiennent qu’il existe un ordre naturel qui distingue hommes et femmes, et que leurs rôles sociaux n’en sont que le reflet. Face à ces arguments, la stratégie de celles et ceux qui croient en les bénéfices d’une égalité sociale des femmes et des hommes est, le plus souvent, de nier ces différences. Néanmoins, il n’est pas utile de les nier contre toute raison. Il me semble, au contraire, que c’est seulement en les reconnaissant qu’on peut les compenser et instaurer une égalité de fait.
- Face à la position qui consiste à projeter dans l’organisation sociale le “rôle naturel” des hommes et des femmes, on peut opposer quatre arguments : Le rôle de la société, c’est justement de s’opposer à la “loi naturelle”. Par exemple, il semble sage de se prémunir des catastrophes naturelles, de lutter contre les agressions animales, de prévenir et soigner les maladies, de repousser la mort, d’organiser les structures sociales de façon à ce que les forts puissent protéger les faibles et que la loi du plus fort ne prévale pas, etc. Le fait que la nature assigne à l’être humain un “rôle naturel” n’est absolument pas un argument pour qu’il se maintienne dans ce rôle.
- Les moyennes ne concernent pas les individus pris un par un. Les individus peuvent être distingués par des critères discontinus, c’est-à-dire qui caractérisent clairement deux groupes
(par exemple, hommes et femmes se distinguent par des organes différenciés). Ils peuvent aussi être distingués par des critères continus. Dans ce cas, les différences entre groupes sont des différences dans les moyennes (par exemple, hommes et femmes se distinguent par leur réponse à certains tests d’aptitude). Dans ce dernier cas, les résultats dessinent deux “courbes en cloche” plus ou moins nettement séparées (Fig. 9). Dans le cas des femmes et des hommes, les aptitudes peuvent être en moyenne distinctes mais la plupart des courbes sont très proches et se recouvrent presque totalement (c’est-à-dire que beaucoup de femmes se situent dans la moyenne des hommes et vice-versa). Ceci signifie qu’entre deux individus
donnés, il peut y avoir autant de différence, quel que soit le groupe ou les groupes auxquels ils appartiennent.
- Chacun a le droit à la poursuite de ses aspirations. Le rôle de la société est de fournir à chaque personne le moyen d’arriver à ses aspirations quels que soient les résultats moyens ou l’image du groupe auquel elle appartient [VEN51]. Un homme ne peut se voir refuser d’être maternel, une femme d’avoir de l’initiative, sous prétexte qu’en moyenne les femmes
sont plus maternelles et les hommes ont plus d’initiative !. . . C’est là la grande perversion des “courbes en cloche”, surtout si elles sont très faiblement décalées : si on les prend pour des normes, elles laissent la plupart des individus hors les normes. Il y a plus ou autant d’individus à la frontière entre les deux caractéristiques prototypiques qui définissent les deux groupes que d’individus répondant aux normes. Vouloir adapter les rôles sociaux aux caractéristiques prototypiques de deux groupes à fort recoupement, c’est comme d’avoir deux tailles de gilets de sauvetage, et de décréter que la petite taille est pour les femmes, parce qu’en moyenne les femmes sont plus petites, et que la grande est pour les hommes, parce qu’en moyenne les hommes sont plus grands. Il apparaît clairement de cet exemple absurde qu’il est préférable de choisir le gilet en fonction de la taille de chacun, et que le sexe n’est pas pertinent. - La société profite de l’égalité homme-femme. La participation des femmes dans la vie publique tend à limiter l’agressivité et les solutions conventionnelles basées sur la compétition ou sur la violence. Les femmes ont non seulement un droit mais un devoir de représentation. Une vie politique exclusivement masculine est nécessairement biaisée puisqu’elle ampute le débat des manières de voir et des intuitions de la moitié de la population.
À propos du débat sur la maternité :
Les enfants sont les enfants de tous. On ne peut pas à la fois prendre note du fait que les femmes font et éduquent les enfants, et leur reprocher de ne pas être efficaces de fait dans les autres tâches. L’égalité des hommes et des femmes ne peut se réaliser que sous condition d’un partage social du poids de la maternité. Ceci passe par une compensation des stéréotypes (par exemple, en compensant par des avantages financiers les désavantages, réels ou imaginaires, à engager une femme). Ceci passe aussi par une compensation des différences de faits (congé mensuel, dans le cas où il existerait une incapacité passagère, au moins chez certaines femmes congés de maternité, structures de couple et structures du travail permettant de distribuer la charge des enfants).
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