Déceler sa mission
Chaque personne change le monde ; à elle de trouver la manière dont elle le fait le mieux.
L’Occident fait de la personne humaine, suivant les leçons de la sagesse antique et chrétienne, une valeur unique et première. Un Occidental ne vit pleinement sa vie que quand il la comprend et la fait inimitable, et quand le sens même de son existence, c’est d’être précieuse [. . .]. Bien plus, notre personnalité n’est pas seulement précieuse, elle est encore précise : elle se distingue fortement de celles qui nous entourent ; elle est indépendante et s’oppose même au groupe qui la comprend.Robert Guillain : La guerre au Japon. Stock, 1979. (republié dans une version remaniée sous le titre "J’ai vu brûler Tokyo"). Robert Guillain, de son nom complet Florent Antoine Guillain, était un reporter français, correspondant en Asie pendant près de quarante années. Né le 4 septembre 1908, Paris – décédé le 29 décembre 1998, Clamart
La citation ci-dessus est extraite d’un livre de Robert Guillain sur le Japon pendant la guerre. Elle est destinée à souligner par comparaison que les contours de la personnalité asiatique sont imprécis et que les vies individuelles y sont de moindre valeur.
Cette citation m’intéresse d’abord parce qu’elle décrit en quelques lignes l’individualisme occidental et sa conséquence la plus immédiate : la rupture entre l’individu et la communauté qui l’abrite. C’est en effet peut-être de la valorisation inconditionnelle de la vie individuelle que naît l’individualisme compétitif et la dislocation d’avec la continuité humaine. Par ailleurs, il y apparaît également la volonté de donner une motivation universelle et morale . cette attitude (“sagesse antique”), ainsi qu’une justification par les faits (“suivre les leçons “). Je note également dans le travail de Guillain que ce qui a poussé et maintenu le Japon dans la guerre est en grande part l’effacement de la personnalité : déresponsabilisation individuelle, panurgisme, acceptation de l’absence de démocratie, courage physique touchant à la stupidité mais courage moral ou social inexistant.
Je pense qu’il est possible de voir la personne autrement que comme une entité indépendante qui s’oppose au groupe et autrement que comme de la matière interchangeable au sein du groupe. Cette pensée n’est pourtant pas un compromis entre les deux points de vue. C’est une révolution-révélation de la pensée qui se joue au niveau de chaque personne, et qui s’opère par deux prises de conscience :
- Je suis part de la continuité humaine, à savoir que tout ce que je suis physiquement et mentalement me vient d’autres êtres humains, et tout ce que je suis a une influence sur l’ensemble de l’humanité future ;
- J’ai une mission personnelle , individuelle, au sein de la continuité humaine. Il m’incombe de comprendre cette mission, et comment je vais la remplir (notons d’ailleurs que ceci m’incombe à moi seul : personne ne peut me dicter ma mission et disposer de ma vie ou de ma mort).
Le psychanalyste Théodore Frankl, qui alors qu’il se trouvait au coeur même du malheur, dans un camp de concentration allemand, a lui-même découvert sa mission envers l’humanité. Il a pu ainsi aider les siens à trouver ou à conserver un sens à leur existence malgré les conditions épouvantables où elles étaient plongées. Par la suite, il a créé une théorie des déséquilibres mentaux basée sur le sentiment de vacuité et l’absence de sens de la vie, et a créé une thérapie de ces déséquilibres dont la base est d’aider la personne à détecter (déceler) sa mission.
Comment déceler sa mission ? Méditez. S’asseoir tranquillement, écrit le maître zen Daïnin Katagiri, est le début et la fin de zazen. Tôt ou tard, on comprend le sens de la pratique. Attendez-vous à ce que .a vienne vite, mais pas tout de suite.
Quand on parle de “mission” dans la vie, on est tenté de penser à des choses grandioses telles que de libérer le monde de la faim, débarrasser le pays d’un ennemi imaginaire ou inventer la machine universelle à lasser les chaussures sans se baisser. Mais les envies de ce type ne sont que des manifestations des désirs délirants de l’ego et non pas d’une prise de conscience de sa place dans la continuité humaine.
Déceler sa mission dans la vie ne consiste en rien de grandiose. Il ne s’agit que de comprendre que la moindre de ses actions a une influence sur l’état du monde et qu’il est possible d’orienter ces actions, une à une, dans une direction qui soit bénéfique à soi-même et à tous.
Chacun a une influence totale sur le reste du développement de l’humanité. Cette mission, comprise dans ce sens, peut être d’oeuvrer (de façon qui peut paraître infime mais qui est, en fait, décisive) pour ce qu’on croit juste 2 . Ceci peut être accompli par l’éducation d’un enfant heureux, par l’art, par l’écriture, par une participation positive et la coopération à l’aventure humaine. Inversement, on peut apporter une part de malheur à l’humanité. Il suffit pour ça d’être malheureux soi-même. Le malheur est parmi ce qui se transmet le mieux et se maintient le plus longtemps, de génération en génération.
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