Contrôler l’empathie sexuelle
Être capable de personnalisation et de dépersonnalisation de l’autre facilite la sexualité.
Je voudrais que les gens apprennent à se servir de leur sexe comme ils apprennent à se servir d’un couteau et d’une fourchette.Un ministre suédois, dans les années 70
De façon générale, les hommes sont “choses” et les femmes “relations”. En matière de sexualité, le sens-clé chez un homme est la vision. Ceci explique l’intérêt des hommes pour la pornographie, le fait qu’ils puissent accepter des objets ou des images comme palliatif à un partenaire, et la chosification des femmes. Ils ne s’intéressent pas à qui elle est, mais à ce qu’ils aimeraient lui faire. De façon générale, pour une femme, c’est l’intimité et le rapprochement des personnes qui justifie le sexe.Ann Moir et David Jessel : Brain Sex ; "The Real Difference between Men and Women." Delta, NY, 1992.
La sexualité est un domaine tout à fait particulier de l’activité humaine. La psychanalyse traditionnelle théorise que la motivation profonde de la plupart de nos actes est de nature sexuelle, ce qui tend à faire croire qu’il n’y a pas — ou qu’il ne devrait pas y avoir — de différence fondamentale entre notre comportement sexuel et nos autres comportements. Mais il en existe au moins une : l’acte sexuel est le seul pour lequel la réussite tient dans le fait de personnaliser ou de chosifier à volonté.
Personnaliser, c’est considérer dans une personne les pensées, sentiments et émotions, et agir en conséquence. Chosifier, c’est considérer une personne comme un corps ou un objet, et en ignorer volontairement ou non les pensées, sentiments et émotions (ou les réduire à une caricature de personnalité, similaire à celle d’un personnage fictif). Il apparaît :
- Que la sexualité implique une part de chosification.
- Que la chosification est, non pas exclusivement, mais essentiellement masculine, et qu’elle est en général difficile à comprendre pour les femmes.
- Qu’une part des difficultés sexuelles provient de ce que les partenaires peuvent avoir une vision très divergente du même acte sexuel, l’ignorent, ou veulent l’ignorer.
En conséquence, une meilleure entente sexuelle peut être obtenue d’une part par un contrôle des comportements empathiques ou chosifiants ; d’autre part par l’acceptation d’une nécessaire part de chosification.
Personnaliser
C’est l’incapacité à contrôler et limiter la chosification qui est à l’origine des comportements masculins d’irrespect envers les femmes (en ce qui concerne les différences entre sexes).
La plupart de ces comportements sont bénins. Néanmoins, la littérature sur la criminalité violente souligne que : (1) la totalité des crimes sexuels sont le fait d’hommes et (2) que toute une catégorie de criminels sexuels, et une grande partie des autres criminels, manifestent une absence pathologique d’empathie, c’est-à-dire une incapacité à ressentir le fait que les autres personnes sont, justement, des personnes.
Nous constatons que nous avons tendance à chosifier nos partenaires (réels ou imaginaires) quand nous pouvons accéder au plaisir sexuel en regardant des personnes ou des photographies, ou en utilisant des accessoires ; si nous avons plaisir à considérer nos partenaires comme des objets ; si nous avons tendance à employer à leur propos du vocabulaire dépréciatif. Ces comportements ne sont pas bien ou mal en soi (il n’y a pas de jugement moral ici).
Néanmoins, il est important :
- de prendre conscience de ces comportements, et de savoir qu’ils ne sont pas les seuls possibles,
- de savoir qu’ils nous cachent la personnalité et les sentiments, pensées et émotions de nos partenaires,
- que nos partenaires peuvent ne pas du tout les comprendre (c’est le cas de la très grande majorité des femmes, pour qui la chosification est inexplicable et inconcevable),
- d’apprendre à fixer des limites à la chosification, à ramener dans le domaine sexuel une part d’empathie et de personnalisation. Ceci, comme dans les autres cas d’empathie, c’est :
- garder à l’esprit que l’autre personne voit les choses différemment, pense différemment, et a des besoins différents ;
- mais rester tout aussi conscient de ce que l’autre personne vit et ressent ses pensées, émotions et sensations avec autant d’intensité que nous ressentons les nôtres propres ;
- être attentif aux signes qu’envoie l’autre personne, notamment ceux qui traduisent un désagrément ou un refus ; accepter le fait que “non” signifie non et rien d’autre. Inversement, nous pouvons ne pas comprendre la volonté de chosification de nos partenaires. Nous pouvons ressentir de l’indifférence, voire une certaine révulsion, à l’idée de traiter ou d’être traités comme des objets, d’utiliser du vocabulaire dépréciatif, etc. Si nos partenaires se comportent de telle façon, nous pouvons nous sentir méprisés. Cependant, il est important de prendre conscience que ces comportements font partie de la sexualité, en particulier pour la très grande majorité des hommes, et que jusqu’à un certain degré ils sont nécessaires à la sexualité masculine.
Chosifier
Le fonctionnement de la sexualité masculine exige une part de chosification. Certaines “pannes” masculines sont dues à ce que trop d’importance est donnée à ce que pense l’autre personne. La difficulté tient à rester attentif aux désirs et refus de cette personne tout en étant capable, dans une certaine mesure, de se dégager de sa personnalité et de la traiter comme un objet ou un caractère fictif.
Pour cela, il est possible de :
- créer en imagination une situation fictive, une fantaisie, un fantasme :
• mener un dialogue intérieur utilisant des mots dépréciatifs ;
• traiter l’autre personne comme une personne inconnue, à peine rencontrée ;
• assimiler en esprit l’autre personne à une autre personne. - éviter les situations qui tendent à contrecarrer ces fantaisies :
• utiliser l’érotisme et la pornographie comme support de l’imagination, mais se limiter à ce qui peut être adapté aux situations de la vie réelle (par exemple, renoncer à fantasmer sur des situations à plusieurs personnes si la seule sexualité effectivement possible est une sexualité de couple).
• éviter de banaliser la nudité, conserver un certain voile sur la réalité des corps, par exemple en usant de vêtements et de lumières douces ;
• modifier l’ordre des préliminaires et des actes, etc., équilibrer habitudes et changements.
Bref, il n’y a pas de mal — et il peut être utile — de traiter l’autre personne en objet. Néanmoins, ceci se limite à l’acte sexuel lui-même, et ne peut déborder ni ce qui se passe avant ni ce qui se passe après. Ceci ne peut pas non plus dépasser les limites de la satisfaction et du désir de l’autre personne. La méthode consiste à faire de l’autre personne l’objet de son imagination.
De même, il n’y a pas de mal — et il peut être utile au renouvellement de l’activité sexuelle du couple, et à la compréhension mutuelle — de traiter ou de se laisser traiter en objet, dans les mêmes limites, et dans les limites de sa satisfaction et de son désir. Autrement dit il ne s’agit pas d’accepter n’importe quoi mais simplement de comprendre que la sexualité exige une certaine part de chosification.
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