Considération et détachement
La capacité de se mettre à la place des autres personnes est un équilibre.
Il y a deux modes relativement tranchés de perception d’autrui (empathique ou chosifiant), mais cela ne signifie pas que nous appliquions massivement l’un ou l’autre de ces modes :
- Il se peut que nous ayons une attitude empathique envers certaines personnes et pas envers d’autres. Selon qu’elles nous rappellent telle ou telle personne, selon qu’elles se comportent de telle ou telle façon, selon qu’elles soient proches ou non, selon qu’elles appartiennent à tel ou tel groupe social ou ethnique, nous pouvons ressentir une quasi-identité ou une totale dislocation.
- Il se peut que nous ayons une attitude empathique envers les personnes dans certaines circonstances mais pas dans d’autres : selon que nous soyons de bonne ou de mauvaise humeur, que nous soyons en forme ou que nous souffrions physiquement, que nous soyons heureux ou malheureux, que nous nous sentions aimés ou agressés, etc., et également selon que le rapport soit hiérarchisé ou non, formel ou non, intime ou non, sexualisé ou non, etc.
L’empathie n’est pas la sensibilité ! L’empathie (v. figure) est un équilibre entre sensibilité et insensibilité. Paradoxalement, l’empathie est aussi proche du détachement que de la bienveillance.
En effet, comprendre la souffrance d’autrui consiste aussi parfois à ne pas interférer avec celle-ci. Par exemple, si nous sommes tentés de nous énerver contre quelqu’un qui s’énerve, contre un enfant qui pleure, contre un membre de notre famille qui ne parvient pas à mener sa vie de façon raisonnable, c’est plus par sensibilité que par dureté de coeur. Dans tous ces cas, nous aimerions
faire quelque chose et mais nous nous sentons impuissants ; nous sommes mis en danger affectif et nous tendons à nous mettre en colère.
Il serait préférable de ne pas ajouter du mal au mal et de ne pas réagir violemment à la souffrance d’une autre personne, même et surtout si cette souffrance amène cette personne à se comporter de façon violente ou asociale. Si nous pouvons faire quelque chose pour l’apaiser, faisons-le.
Si nous ne le pouvons pas, nous pouvons considérer la souffrance qui nous fait face ; nous concentrer sur notre envie de réagir et en examiner les causes (peur d’être mis en danger ; sentiment d’impuissance ; peur de l’opinion d’autres personnes, etc.) ; nous pouvons renoncer à mettre les désagréments que la situation nous cause au-dessus de la souffrance qui nous fait face ; et enfin accéder à, et nous maintenir dans un état de détachement dans lequel nous ne ressentons plus d’envie de réagir. Essayez.
À propos de politique, j’ai écrit plus haut que trop de décisions sont prises en ne considérant que les systèmes et les théories, mais en négligeant les effets sur la vie quotidienne des personnes (absence d’empathie). Je peux ajouter que beaucoup d’autres sont prises par besoin charitable de réagir à la souffrance, mais le sont sans considération des résultats effectifs ni des effets secondaires (volonté empathique étouffée par la volonté de se soulager soi-même). La solution consiste à considérer la souffrance et à la soulager de façon effective si c’est possible, de façon durable si c’est possible, mais de n’entreprendre des actions qu’en suivant rigoureusement les “quatre points pour agir”.
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